Le principe de bonne foi constitue un fondement du droit des contrats français, particulièrement dans le domaine des assurances liées aux prêts immobiliers. La relation triangulaire entre prêteur, emprunteur et assureur s’articule autour d’obligations réciproques dont l’exécution loyale détermine l’équilibre contractuel. Face à l’asymétrie informationnelle caractérisant ce type de contrat, le législateur et la jurisprudence ont progressivement renforcé les garanties protectrices de la partie faible. Cette évolution juridique traduit une préoccupation constante : faire du principe de bonne foi non un simple idéal théorique, mais une norme concrète guidant l’exécution du contrat d’assurance emprunteur, depuis sa formation jusqu’à son dénouement.
Le cadre juridique du principe de bonne foi dans l’assurance emprunteur
La notion de bonne foi irrigue l’ensemble du droit des obligations français. L’article 1104 du Code civil, issu de la réforme du droit des contrats de 2016, dispose expressément que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ». Cette exigence trouve une résonance particulière dans le domaine de l’assurance emprunteur, où elle se manifeste à travers diverses obligations spécifiques.
Le Code des assurances complète ce dispositif général par des règles sectorielles. L’article L113-2 impose à l’assuré de déclarer sincèrement les risques, tandis que l’article L113-8 sanctionne les fausses déclarations intentionnelles par la nullité du contrat. Ces dispositions consacrent l’obligation de loyauté pesant sur l’emprunteur dans la phase précontractuelle.
Parallèlement, la jurisprudence a progressivement affiné les contours de l’obligation de bonne foi incombant aux assureurs. La Cour de cassation a ainsi jugé, dans un arrêt du 28 février 2018 (Cass. civ. 2, n°17-13986), que l’assureur manque à son devoir de loyauté en opposant des exclusions de garantie rédigées en termes équivoques ou en caractères difficilement lisibles.
La loi Lagarde de 2010, la loi Hamon de 2014, puis les lois Bourquin de 2017 et 2018 ont considérablement renforcé la protection des emprunteurs, en leur offrant davantage de liberté dans le choix de leur assurance et en facilitant les possibilités de résiliation. Ces réformes législatives successives témoignent d’une volonté de rééquilibrer la relation contractuelle, traditionnellement favorable aux établissements prêteurs et aux assureurs.
Le droit européen n’est pas en reste, la Directive sur la distribution d’assurances (DDA) de 2016 ayant consacré le principe selon lequel les distributeurs d’assurance doivent agir « de manière honnête, impartiale et professionnelle, au mieux des intérêts de leurs clients ». Cette exigence traduit, à l’échelle communautaire, une conception exigeante de la bonne foi dans les relations assurantielles.
Les manifestations concrètes de la bonne foi
La bonne foi se manifeste concrètement par:
- L’obligation d’information précontractuelle renforcée
- Le devoir de conseil adapté au profil de l’emprunteur
- La transparence dans la rédaction des clauses contractuelles
- La loyauté dans l’instruction des demandes de prise en charge
L’obligation de déclaration sincère du risque : pierre angulaire du contrat
L’exécution de bonne foi du contrat d’assurance emprunteur commence paradoxalement avant même sa formation. L’article L113-2 du Code des assurances impose à l’assuré de répondre avec exactitude aux questions posées par l’assureur, notamment dans le questionnaire de santé. Cette obligation de déclaration sincère constitue le socle sur lequel repose l’équilibre économique du contrat.
La jurisprudence a précisé les contours de cette obligation. Dans un arrêt du 15 février 2022 (Cass. civ. 2, n°20-18.813), la Cour de cassation a rappelé que « l’assuré n’est tenu de répondre qu’aux questions posées ». Cette solution protectrice limite l’obligation déclarative aux seuls éléments expressément sollicités par l’assureur, sans exiger une initiative spontanée de l’assuré.
Toutefois, cette même jurisprudence sanctionne sévèrement les déclarations inexactes ou réticences dolosives. Lorsque l’assuré omet sciemment de déclarer une pathologie préexistante en réponse à une question claire, la nullité du contrat peut être prononcée sur le fondement de l’article L113-8 du Code des assurances. Dans ce cas, l’assureur est en droit de conserver les primes versées et peut même, théoriquement, réclamer les indemnités déjà versées.
Le questionnaire médical fait l’objet d’un encadrement législatif croissant. La loi du 28 février 2022 relative à la réforme du droit de l’assurance emprunteur a supprimé le questionnaire de santé pour les prêts immobiliers inférieurs à 200 000 euros et dont le terme intervient avant le 60ème anniversaire de l’assuré. Cette avancée majeure consacre un droit à l’oubli élargi et limite les cas dans lesquels la sincérité déclarative peut être mise en cause.
La frontière entre omission de bonne foi et réticence dolosive demeure parfois ténue. Les tribunaux apprécient souverainement l’intention frauduleuse en fonction des circonstances. Un emprunteur qui omet de mentionner des consultations médicales ponctuelles sans suivi ultérieur pourra plus facilement invoquer une erreur excusable qu’un assuré taisant une pathologie chronique ayant nécessité des traitements réguliers.
La charge de la preuve de la mauvaise foi pèse sur l’assureur, conformément à la règle générale selon laquelle celui qui allègue un fait doit l’établir. Cette règle procédurale constitue un garde-fou significatif contre les contestations abusives de garantie.
La loyauté dans l’exécution des obligations de l’assureur
Si l’emprunteur est tenu à une déclaration sincère du risque, l’assureur doit réciproquement faire preuve de loyauté dans l’exécution de ses propres obligations. Cette exigence se manifeste à plusieurs niveaux du processus contractuel.
Lors de la phase précontractuelle, l’assureur est débiteur d’une obligation d’information et de conseil renforcée. La Cour de cassation a progressivement enrichi cette obligation, jugeant par exemple dans un arrêt du 4 mars 2021 (Cass. civ. 2, n°19-24.295) que l’assureur manque à son devoir de conseil en proposant des garanties inadaptées aux besoins spécifiques de l’emprunteur, notamment lorsque certaines exclusions professionnelles privent la couverture de toute portée utile.
Durant la vie du contrat, le principe de bonne foi impose à l’assureur une interprétation raisonnable des clauses contractuelles. La jurisprudence sanctionne régulièrement les pratiques consistant à invoquer des exclusions de garantie rédigées en termes ambigus ou des déchéances fondées sur des manquements formels sans incidence sur le risque.
Lors de la survenance du sinistre, l’obligation de loyauté atteint son paroxysme. L’assureur doit instruire les demandes de prise en charge avec diligence et objectivité. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 septembre 2019 a ainsi condamné un assureur ayant systématiquement sollicité des expertises médicales complémentaires dans le seul but de retarder l’indemnisation d’un emprunteur victime d’une incapacité de travail.
Le devoir d’information persiste après la souscription. L’assureur doit notamment informer l’assuré des évolutions législatives susceptibles d’améliorer sa situation, comme les possibilités de résiliation annuelle instaurées par les lois Hamon et Bourquin. Cette obligation a été consacrée par la jurisprudence qui considère que le silence de l’assureur peut constituer une réticence contraire à la bonne foi contractuelle.
Les sanctions du manquement à la loyauté
- Dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat
- Interdiction de se prévaloir des clauses abusives ou illisibles
- Interprétation des clauses ambiguës en faveur de l’assuré
- Sanctions administratives prononcées par l’ACPR
La délicate question de la charge de la preuve dans les litiges assurantiels
La répartition de la charge de la preuve constitue un enjeu majeur dans les contentieux relatifs à l’assurance emprunteur. Le principe général énoncé à l’article 1353 du Code civil selon lequel « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver » connaît des applications spécifiques en matière assurantielle.
S’agissant de l’obligation déclarative de l’assuré, la jurisprudence impose à l’assureur de démontrer non seulement l’inexactitude de la déclaration, mais également l’intention dolosive lorsqu’il invoque la nullité du contrat. Cette exigence probatoire a été rappelée avec force par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 septembre 2020 (Cass. civ. 2, n°19-12.417), où elle censure une cour d’appel ayant déduit automatiquement la mauvaise foi de la seule inexactitude déclarative.
Concernant les exclusions de garantie, il incombe à l’assureur d’établir que le sinistre entre dans le champ d’une clause d’exclusion. Cette règle, affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 22 mai 2008 (Cass. civ. 2, n°07-10.838), s’explique par le fait que l’exclusion constitue une exception au principe de couverture des risques. La jurisprudence exige par ailleurs que les clauses d’exclusion soient « formelles et limitées », conformément à l’article L113-1 du Code des assurances.
En matière d’incapacité de travail ou d’invalidité, la question probatoire devient particulièrement complexe. L’assuré doit démontrer que son état correspond aux définitions contractuelles, souvent distinctes des classifications de la Sécurité sociale. Les tribunaux tendent toutefois à admettre que la reconnaissance d’une invalidité par les organismes sociaux constitue un indice sérieux, créant une présomption simple en faveur de l’assuré.
La preuve du respect du devoir de conseil incombe quant à elle à l’assureur ou à l’intermédiaire d’assurance. Cette solution, consacrée par un arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2017 (Cass. civ. 1, n°16-19.108), s’inscrit dans une tendance générale à la responsabilisation des professionnels face aux consommateurs.
Les technologies numériques transforment progressivement les modalités probatoires. La dématérialisation croissante des questionnaires de santé pose la question de la valeur juridique des déclarations électroniques. Un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 7 janvier 2021 a validé la preuve d’une fausse déclaration établie par l’horodatage et l’identification numérique du déclarant, témoignant d’une adaptation jurisprudentielle aux évolutions technologiques.
L’évolution jurisprudentielle vers un rééquilibrage des relations contractuelles
La jurisprudence joue un rôle déterminant dans l’interprétation et l’application du principe de bonne foi aux contrats d’assurance emprunteur. Son évolution témoigne d’une recherche constante d’équilibre entre les intérêts légitimes des parties.
Les tribunaux ont progressivement affiné leur appréciation de la sincérité déclarative. Un arrêt notable de la Cour de cassation du 18 juin 2020 (Cass. civ. 2, n°19-16.665) a jugé que l’assuré n’est pas tenu de déclarer des symptômes dont il ignore la signification médicale. Cette solution nuancée reconnaît les limites inhérentes à l’auto-évaluation médicale demandée aux emprunteurs.
S’agissant des clauses contractuelles, la jurisprudence a développé un contrôle rigoureux de leur lisibilité et de leur intelligibilité. Dans un arrêt du 12 novembre 2020 (Cass. civ. 2, n°19-21.414), la Cour de cassation a invalidé une exclusion de garantie figurant en petits caractères au verso d’un document contractuel, considérant que cette présentation matérielle ne permettait pas d’attirer suffisamment l’attention de l’assuré.
La durée du contrat d’assurance emprunteur a également fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle majeure. Avant même les réformes législatives facilitant la résiliation, la Cour de cassation avait reconnu, dans un arrêt du 23 juin 2016 (Cass. civ. 1, n°15-19.445), que le maintien forcé d’un contrat d’assurance durant toute la vie du prêt pouvait, dans certaines circonstances, constituer une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle.
Le traitement des sinistres fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accru. Les juges n’hésitent plus à sanctionner les refus de garantie fondés sur des interprétations excessivement restrictives des contrats. Un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 3 décembre 2019 a ainsi condamné un assureur qui avait refusé de prendre en charge un arrêt de travail au motif que la pathologie invoquée n’apparaissait pas explicitement dans la liste des affections couvertes, alors qu’elle relevait manifestement de la même catégorie médicale.
Cette évolution jurisprudentielle s’accompagne d’une tendance à la responsabilisation des intermédiaires d’assurance. Les courtiers et agents généraux sont désormais tenus à un devoir de conseil approfondi, incluant l’obligation de vérifier l’adéquation des garanties proposées aux besoins spécifiques de l’emprunteur. Un manquement à cette obligation peut engager leur responsabilité civile professionnelle, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2020 (Cass. civ. 1, n°19-10.585).
Les orientations récentes de la jurisprudence
- Renforcement du contrôle des questionnaires de santé standardisés
- Reconnaissance plus fréquente du caractère abusif de certaines clauses d’exclusion
- Protection accrue contre les déchéances de garantie pour déclaration tardive
- Appréciation in concreto de la proportionnalité des sanctions contractuelles
Perspectives d’avenir : vers une consécration renforcée de la bonne foi
L’examen des tendances législatives et jurisprudentielles récentes permet d’entrevoir les évolutions futures de la place du principe de bonne foi dans l’exécution du contrat d’assurance emprunteur.
La digitalisation croissante du secteur assurantiel soulève de nouveaux défis en matière de loyauté contractuelle. Les algorithmes de scoring et d’analyse prédictive utilisés pour évaluer les risques doivent respecter les principes de transparence et d’équité. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) offre déjà un cadre contraignant, mais des règles sectorielles complémentaires pourraient émerger pour encadrer spécifiquement l’usage des données de santé dans la tarification des assurances emprunteur.
La loi du 28 février 2022 a considérablement élargi le droit à l’oubli en matière de pathologies cancéreuses et instauré un principe de non-discrimination en fonction de l’état de santé pour certains prêts. Cette tendance à la mutualisation renforcée des risques pourrait s’étendre à d’autres pathologies, limitant d’autant les conséquences d’éventuelles omissions déclaratives.
Les modes alternatifs de règlement des différends connaissent un développement significatif dans le secteur assurantiel. La médiation de l’assurance, dont le champ de compétence s’est élargi, contribue à l’émergence de solutions équilibrées fondées sur l’équité plutôt que sur la stricte application des clauses contractuelles. Cette approche pragmatique favorise une conception concrète et dynamique de la bonne foi.
L’influence du droit européen devrait s’accentuer dans les années à venir. La Commission européenne a engagé une réflexion sur l’harmonisation des règles relatives à l’assurance emprunteur, dans le cadre plus large de l’Union des marchés de capitaux. Cette perspective pourrait conduire à la définition de standards communs en matière de loyauté contractuelle, inspirés des législations nationales les plus protectrices.
La jurisprudence française pourrait poursuivre son mouvement de protection des assurés en développant une conception plus substantielle de la bonne foi. Au-delà du simple respect formel des obligations contractuelles, les tribunaux pourraient consacrer un véritable devoir de coopération entre assureur et assuré, impliquant notamment une obligation d’information continue et personnalisée tout au long de la vie du contrat.
Les nouvelles technologies offrent également des opportunités pour renforcer la transparence et la loyauté contractuelles. Les contrats intelligents (smart contracts) basés sur la blockchain pourraient garantir l’automaticité de certaines prestations d’assurance dès la survenance de conditions objectives, limitant les risques de contestation abusive. De même, les objets connectés pourraient permettre une évaluation plus précise et continue des risques, réduisant l’asymétrie informationnelle entre assureur et assuré.
Ces évolutions convergent vers une conception renouvelée du principe de bonne foi, moins formelle et plus substantielle, moins statique et plus dynamique. Dans cette perspective, la bonne foi ne se limite plus à l’absence de tromperie mais devient un véritable principe directeur guidant positivement le comportement des parties tout au long de la relation contractuelle.
Défis à relever pour une application effective
- Conciliation entre personnalisation des contrats et mutualisation des risques
- Adaptation du cadre juridique aux innovations technologiques
- Harmonisation des standards européens de protection des emprunteurs
- Formation des intermédiaires aux exigences renforcées de loyauté